1. Contexte et justification
1.1. Panorama sur la question du développement endogène en Afrique
Née après la seconde Guerre Mondiale à la suite de critiques adressées simultanément à l’économie de la croissance, l’économie du développement a été confrontée, d’une part, à une crise de ses paradigmes et, d’autre part, à une dilution de son objet au fur et à mesure que les territoires dits du ‘’tiers-monde’’ se sont différenciés (A. Ferguene et al., 2008). Cette discipline connait pourtant, aujourd’hui, un regain d’intérêt. La nouvelle problématique renvoie notamment à des expériences de développement originales qui font preuve d’une vitalité étonnante dans le contexte difficile que traversent aujourd’hui de nombreux pays africains. Les nouvelles expériences se fondent sur des concentrations spatiales d’unités de production qui exercent des activités spécialisées fortement complémentaires et entretenant entre elles, des relations intenses de concurrence/ coopération (Ibid). Pour rendre compte de cette osmose, la littérature parle d’ « industrialisation diffuse », de « systèmes productifs locaux », de « systèmes industrialisés localisés », de « districts industriels » ou encore d’ « industrial clusters », expressions mettant en évidence le caractère ‘’endogène’’ du développement.
De même, sur le plan de la culture, le développement endogène fait appel à ce qu’il convient de nommer avec V. T. Müller (1997), la « culture-noyau » (Kernkultur). Celle-ci se rapportant aux fonctions, aux structures et aux codes culturels qui, dans une société donnée, sont perçus comme incontournables pour la survie de ses membres. Cette approche définitionnelle met la focale sur les savoirs locaux perçus comme l’ensemble des connaissances acquises par une population locale à travers l’accumulation d’expériences et l’interprétation de l’environnement dans une culture donnée. Il comprend les idées, les expériences, les pratiques et les informations qui ont été soit générées localement ou soit produites en dehors de la communauté, mais qui ont été transformées par la population locale et incorporées à travers le temps aux conditions culturelles agro-écologiques et socio-économiques locales (K. J. Warren, 1993).
P. Hountondji (1994), quant à lui, insiste sur l’aspect culturel de l’endogéneité en soutenant que le savoir local est une connaissance vécue par la société comme partie intégrante de son héritage. Le savoir local représente le reflet des facteurs agro-écologiques et socio- économiques emboités dans les préférences et traditions culturelles. Tout savoir local est donc relatif à une culture. En somme, on peut retenir de toutes ces définitions que les savoirs locaux ou endogènes sont une façon de vivre (X. Gomez-Batiste, 2002 : 2).
Et pourtant, plus de soixante ans après les « soleils des indépendances », l’Afrique peine toujours à retrouver ses véritables marques vers le développement. La mayonnaise n’a pas encore pris (J. Ki-Zerbo, 2003), alors même que depuis les indépendances, le continent africain est le laboratoire de divers théories et modèles de développement. Aussi, l’Afrique bénéficie-t-elle sans cesse de programmes d’allocations au développement sous-entendu « Aides Publiques au Développement ». Toutes ces mesures sont animées d’une même finalité : sortir le continent de sa latence économique et le faire hisser sur l’échiquier de l’économie mondiale. Cependant, l’Afrique, malgré cet élan de « solidarité » internationale, semble sombrer dans une pauvreté et une misère sans précédent.
Par ailleurs, la société africaine est confrontée aux effets de la globalisation ; ce nouveau paradigme-monde a acquis une autonomie vis-à-vis des États par le développement de la globalisation informationnelle et culturelle, voire économique (Z. Brémond, 2014). Ce contexte de globalisation a placé l’Afrique dans un abîme d’aliénation culturelle et a engendré l’incroyable poids de résignation et de fatalisme dans ses sociétés. Celles-ci sont devenues des creusets où s’affrontent, se fondent et s’effondrent des valeurs multiples. Ceci a pour conséquence, la perte de repères culturels, personnels, familiaux et sociétaux. Étourdis et sourds dans un melting-pot culturel, ils restent divisés et partagés entre l’ethnocentrisme et le modernisme temporel et nécessaire. Séduits par les avantages de la civilisation occidentale, les Africains cherchent à s’adapter aux nouvelles formes d’existence induites par la globalisation. A cet effet, V. Y. Mudimbe (1982) décrit la situation comme une « mouche dans une toile d’araignée ».
1.2. Questionnement soulevé
Aujourd’hui, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les freins actuels au processus de développement en Afrique. « L’Afrique noire est mal partie » (R. Dumont, 1962), l’Afrique « peut-elle partir ? » (A. Meister, 1966), « l’Afrique en panne » (J. Giri, 1986), « Et si l’Afrique refusait le développement ? » (A. Kabou, 1991), le développement en Afrique serait-il en faillite ? (S. Amin, 1999.), « À quand l’Afrique ? » (J. Ki-Zerbo, 2003), « l’Afrique désenchantée » (G. Gosselin, 2003), « l’Afrique est-elle condamnée à rester pauvre ? (W. Easterly, 2006). Autant d’interrogations pour cerner le « mal développement » et le « mal être » du continent.
Les réponses à ces interrogations apostrophent les théories de fortunes diverses. Ainsi, certaines mettent en cause les modèles et théories qui seraient inadaptés à l’Afrique. Mais, d’autres pensent que « l’Afrique refuse le développement » et a besoin, de ce fait, d’un « ajustement culturel » (M. Etounga, 1991) afin que la mayonnaise du développement puisse enfin prendre. Entendu comme tel, l’Afrique est réfractaire au développement ! C’est ce que réfute H. Aguessy, à la suite de J. Ki- Zerbo, qui, dans ses divers travaux scientifiques, soutient que les modèles de développement proposés jusque-là à l’Afrique sont inadaptés à son contexte. Le seul développement qui sied à l’Afrique, est le développement endogène.
Préconiser un développement endogène dans un contexte de globalisation, c’est plaider pour un processus qui sera issu de la synthèse des richesses internes et bien sûr de celles externes. Mais, ce qui vient de l’extérieur ne sera pas visible d’autant plus qu’il est inclus dans l’intérieur, pas à l’état pur, mais par transformation ou appropriation. Ce qui vient de l’extérieur ne saurait être prédominant. Il doit être intégré dans l’intérieur, qui, seul va désormais prédominer en donnant une sorte d’« intérieur extériorisé» et non « d’extérieur intériorisé ». C’est dans ce sens qu’il faut placer ces propos de R. Colin (1988 : 179) quand il affirme que « le développement est considéré comme endogène si le mécanisme qui oriente les facteurs de l’intérieur et ceux de l’extérieur est contrôlé et réglé de l’intérieur. Si les facteurs internes et externes sont contrôlés de l’extérieur, il est interprété comme exogène ».
2.Appel à communications
Le développement endogène sous-entend essentiellement deux choses : une valorisation maximale de ressources disponibles localement et une territorialisation de l’activité économique (J. Tardif, 2010). L’on ne peut ignorer une autre composante essentielle des mutations économiques en cours : le phénomène de la globalisation qui fait de l’espace mondial, l’espace de référence des stratégies des actes économiques. Dès lors, la question qui se pose est celle de l’articulation entre la logique de l’endogène et celle de la globalisation. Autrement dit, l’endogénéité n’étant pas synonyme de développement en vase clos, comment la dimension locale et l’ouverture internationale s’articulent-elles dans les expériences endogènes de développement ? Quelles en sont les implications pratiques sur la vie des africains dans ce contexte de globalisation ?
L’objectif de la présente réflexion est donc de décrypter le concept de développement endogène en contexte de globalisation avec ses effets corollaires. Et ce, dans la continuité des travaux scientifiques de Honorat Aguessy.
Cette préoccupation fait l’objet actuellement d’une réflexion nourrie au sein de la Société Béninoise de Sociologie et d’Anthropologie (SoBeSa). C’est pourquoi, du 26 au 28 octobre 2023, celle-ci initie le présent colloque scientifique aux fins d’examiner les problématiques de développement à l’aune des savoirs endogènes dans un contexte globalisé en Afrique.
Dans une approche pluridisciplinaire, tout chercheur est invité à soumettre des textes de rigueur scientifique et en débattre en plénière. Loin d’une prétention d’exhaustivité, les communications pourraient se focaliser sur les principaux axes thématiques ci-dessous :..
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